Course à pied : des différences entre les hommes et les femmes !

Course à pied : des différences entre les hommes et les femmes !Par Thibault Besson, doctorant LIBM / chaire ActiFS

 

Au cours des dernières années, il y a eu une expansion conséquente de la pratique du sport féminin et en particulier de la course à pied. La popularité de la course à pied comme forme de loisir et d'exercice s'est rapidement développée depuis les années 1970 en Amérique du Nord avec l'appui de grandes marques américaines, et est apparue en Europe au début des années 1980. Une récente étude révèle que le nombre de coureurs en France (i.e. personnes ayant couru au moins une fois par mois au cours de l’année) serait passé de 6 millions en 2000 à 8,5 millions en 2013 jusqu’à 16,5 millions en 2015, soit 19% de la population française. Même si la majorité des pratiquants sont des hommes, c’est un sport qui se féminise avec un taux de pratiquantes de 42% en 2015.

Un certain nombre d’études scientifiques ont comparé les différences de performances entre hommes et femmes sur les différentes distances existantes. Cependant il n’a pas toujours été facile de comparer ces performances… faute de courses féminines. Lors des JO de 1896, les femmes n’étaient encore pas autorisées à concourir et il a fallu attendre 1972 pour voir le premier 1500 m Olympique féminin et 1967 pour voir une femme courir un premier marathon aux Etats-Unis (marathon de Boston). Plus près de nous encore, le premier marathon olympique date de 1984, le 3000 m steeple a seulement été ouvert aux femmes en 2005 et le 50 km marche est toujours réservé aux hommes. Toutefois, avec la forte augmentation de participation des femmes à partir des années 1980, leurs performances ont aussi fortement augmenté. Dans les années 90, des chercheurs se sont ainsi amusés, à partir de simples modèles mathématiques (trop simples !), à prédire des records du monde, et ils ont reportés qu’en 1998, les femmes égaleraient les hommes sur le marathon. On sait aujourd’hui qu’on n'en est loin et les études plus récentes (et plus sérieuses) indiquent que la différence de performance entre hommes et femmes se situerait autour de 10-12% sur des distances allant du sprint au marathon alors qu’on se rapprocherait plus de 20% sur des ultra-distance (e.g. 160 km).

Comment pouvons-nous expliquer ces écarts de performances et surtout, comment pouvons nous expliquer que sur des ultra marathons, ou l’écart de performance entre hommes et femmes semble s’accroître, des femmes parviennent à gagner devant les hommes1 ?

Selon la façon dont on regarde les statistiques et les études scientifiques, les femmes se rapprochent des hommes quand la distance augmente… ou l’écart se creuse. Creusons un peu !

La consommation maximal d’oxygène (O2max) est un concept majeur en physiologie de l’exercice et c’est aussi un des principaux facteurs de performance en course à pied. En valeur absolue, les valeurs de O2max chez les femmes seraient de l’ordre de 40-60% inférieures au valeurs chez les hommes. En matchant hommes et femmes sur la charge d’entrainement et en tenant compte du pourcentage de masse grasse, les valeurs des hommes restent supérieures à celle des femmes mais beaucoup moins : sans doute guère au-dessus de 5%. Ce qui reste un chiffre non négligeable. Cependant est-ce que O2max peut expliquer toutes les différences hommes/femmes en terme de performance ?

Tout d’abord, sur le plan anatomique, hommes et femmes diffèrent sur plusieurs points. Les femmes présentent un bassin plus large, un angle Q plus important (i.e. angle formé par le fémur et le tibia), ainsi que des membres inférieurs plus courts (en se rapportant à la taille totale). Ces spécificités pourraient être à l’origine des différences observées dans la biomécanique de course notamment avec des mouvements du bassin et des genoux plus amples.

Comme VO2max, l’économie de course est un autre facteur important de la performance en course à pied. Il s’agit de la consommation d’oxygène nécessaire pour courir à une certaine vitesse. En imageant, entre deux voitures roulant à même vitesse, on choisira forcément celle qui consomme le moins… C’est un paramètre clé sur des distances allant du demi-fond au marathon ainsi que sur des portions plates en trail running où la capacité à emmagasiner et restituer de l’énergie élastique (modèle du ressort) est un atout majeur. Toutefois, il n’y a pas de consensus clair dans la littérature scientifique concernant les différences hommes/femmes sur ce paramètre. Disons que si nous devions donner une tendance, elle serait à l’avantage des femmes qui seraient très légèrement plus économes. On parle de course à pied !

Comme précédemment évoqué, il est arrivé que des femmes surpassent les meilleurs hommes sur des ultra-marathons. Par définition, un ultra-marathon est une course dépassant la distance du marathon (42,195km) mais certaines courses peuvent atteindre plusieurs centaines de kilomètres et engendrent un effort extrême. Une étude de notre laboratoire a récemment étudié la fatigue neuromusculaire engendrée par un ultra-marathon (Ultra-Trail du Mont-Blanc© 2012) sur un groupe d’hommes et de femmes de niveau de performance comparable par rapport au vainqueur homme et femme. Les résultats ont montré que les femmes présentaient moins de fatigue musculaire que les hommes à l’issue de la course et donc que les muscles des femmes seraient plus résistants pour ce type d’exercice extrême. De plus il est bien connu que les femmes possèdent un taux de masse grasse plus important que les hommes. Les graisses (réserves lipidiques) sont un poids supplémentaire à porter donc ce n’est certainement pas un avantage. Mais c’est aussi un substrat énergétique important sur ce type d’effort très long à intensité faible et il se trouve que les femmes sont plus capables d’utiliser ce substrat et donc pourraient se permettre de moins s’alimenter. C’est tout bénéfice en ce qui concerne les troubles digestifs même si elles en souffrent aussi.

Il existe aussi des facteurs externes pouvant grandement influencer la performance. En effet, il a été montré que pour une même augmentation de la température corporelle, cette dernière avait moins d’influence sur la performance chez la femme que sur l’homme lors d’ultra-marathon. En d’autres termes, les femmes seraient plus résistantes à la chaleur, ce qui pourrait en partie expliquer les victoires de Pamela Reed devant tous les hommes sur la « Badwater » (2002 et 2003), course de 217 km sous des chaleurs étouffantes.

Enfin un dernier facteur de performance, et sûrement un des plus importants concerne le volume d’entrainement. Toutes les études qui se sont intéressées à la charge d’entrainement en course à pied reportent que les hommes s’entrainement significativement plus que les femmes. Le taux de participation sur les différents événements de course à pied à travers le monde illustre parfaitement cette statistique. En effet, le taux de participation des femmes est décroissant en fonction de la distance jusqu’à atteindre des niveaux de participation inférieurs à 10% sur des ultra-marathons (Figure 1).

Cependant, comme nous l’avons vu à travers cet article, les femmes ne semblent pas moins capables que les hommes de courir longtemps. Les femmes ont-elles plus peur de courir longtemps? La course à pied est-elle commercialisée auprès d'un public plus masculin? Est-elle présentée comme un sport masculin? Les femmes se sentent-elles physiquement incapables de courir de longues distances? Ou bien ont-elles simplement moins de temps pour s’entrainer car elles gèrent beaucoup de choses à la maison ? Les disparités dans le taux de participation et dans les écarts de performance sur des ultra distances semblent donc relever d’aspects davantage sociologiques que physiologiques.

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 1 Voici quelques exemples :

Pam Reed remporte la Badwater 135 (217km) en 2002 et 2003 (USA)

Alissa St Laurent remporte la Canadian Death Race (125km) en 2015 (Canada)

Courtney Dauwalter remporte le Moab 200 (383km) en 2017 (USA)

Jasmin Paris remporte la Montane Spine Race (430km) en 2019 (Angleterre)